A sa découverte

 

 

    Les journalistes furent conviés à découvrir la TALBOT-MATRA MURENA dans le sud de la France.  Voici le compte-rendu rédigé par Etienne Visart dans "Le Moniteur de l'automobile" du 4 décembre 1980.

 

TALBOT-MATRA MURENA

 

Le fruit de l'expérience

    En Europe, le marché des coupés représente environ 400 000 voitures par an mais doit en fait se diviser en deux catégories : celle des coupés dits industriels ou familiaux, dérivés de berlines de grande série et s'adressant à une clientèle plutôt traditionnelle (Ford Capri, Opel Manta, Renault Fuego, Toyota Celica, VW Sirocco, etc.) ; et celle des coupés de sport, voitures plus spécifiques et plus performantes d'un coût d'achat et d'utilisation plus élevé, s'adressant plutôt à une clientèle de "connaisseurs".  Ces coupés à vocation sportive (BMW M1, Ferrari 308, Fiat X 1/9, Lotus Esprit, Mazda RX-7, Porsche 924, Alpine Renault A 310, etc.) ne totalisent que 55 000 ventes par an environ, soit 0,5 à 1 % du marché total suivant les pays.  C'est peu mais c'est à cette dernière catégorie qu'appartient la nouvelle Talbot-Matra Murena présentée sommairement au public lors du Salon de Paris et en détails à la presse spécialisée à la mi-novembre.

 

L'héritière

    De part son équipement mécanique dérivé de la grande série et sa diffusion à travers tout le réseau Talbot (et bientôt Peugeot en sus) qui assume également le service après-vente, la Talbot-Matra Murena pourrait appartenir à la catégorie des coupés industriels.  Sa conception et son architecture la classent cependant parmi les vrais coupés sportifs, d'autant plus que sa motorisation lui confère maintenant des performances en rapport à sa vocation, contrairement aux modèles précédents dont les prétentions en la matière étaient plutôt limitées.  La Murena est en effet l'héritière d'une lignée de véhicules sportifs conçus par Matra depuis 1965, les uns pour un usage quotidien sur la route (la Djet, la 530 et la Bagheera) et les autres pour un usage en compétition (monoplaces de formules 3, 2 et 1 avec, notamment, un titre de champion du monde à la clé avec Jackie Stewart ou divers prototypes plusieurs fois vainqueurs aux 24 Heures du Mans).

    Les uns comme les autres avaient un point commun : le moteur placé au centre de la voiture, une technique qui présente certes des contraintes (nombre de places et volume du coffre limités par exemple) mais aussi des avantages (très bonne répartition du poids et concentration de l'habitacle et des organes mécaniques, d'où un meilleur équilibre et un profil plus aérodynamique).  La Murena est donc aussi le fruit de l'expérience acquise par Matra au cours de ces quinze dernières années sur une technique qui trouve aujourd'hui sa pleine justification.

 

Moteur central, facteur d'économie et de sécurité

    Philippe Guédon, l'un des ingénieurs responsables des produits automobiles chez Matra, explique que la position centrale du moteur dans la caisse offre des avantages certains au niveau de l'économie d'énergie et de la sécurité, deux impératifs majeurs dans les conditions actuelles d'emploi de l'automobile.  La position du moteur au centre de la structure influence en effet très favorablement l'aérodynamisme, facteur prépondérant de la consommation.  La résistance aérodynamique intervient en effet dans une proportion de 60 % à 90 km/h et de plus de 70 % à 120 km/h, l'autre facteur étant l'inertie du véhicule.  Placé entre les sièges et l'essieu arrière, le moteur se situe ainsi dans une zone où la hauteur de la caisse est déterminée en fonction de l'habitabilité.  de plus, le moteur en position centrale permet d'asseoir les passagers aussi près possible du sol, leur visibilité n'étant plus conditionnée par la présence du moteur à l'avant du véhicule.  Il en résulte une hauteur de caisse hors tout particulièrement réduite.  Dépourvu de moteur, l'avant de la Murena a pu également être travaillé dans l'optique du meilleur coefficient de pénétration dans l'air ainsi que de traînée le plus faible possible.

    La notion de sécurité implique la sécurité passive et la sécurité active.  La première est soumise à une législation très précise et tous les véhicules subissent les mêmes tests d'homologation.  On peut donc considérer que le niveau moyen de sécurité passive des véhicules offerts sur le marché est comparable.  La législation est plus souple en ce qui concerne la sécurité active, l'initiative des constructeurs est donc plus grande.  Le moteur central présente des caractéristiques de sécurité active particulièrement intéressantes.  Situé près du centre de gravité du véhicule, il offre une répartition du poids optimale : 40 à 45 % à l'avant, 55 à 60 % à l'arrière.  Cette répartition, légèrement prépondérante à l'arrière, conduit en accélération à une meilleure adhérence sur les roues arrière motrices, quel que soit l'état du sol et en décélération à une charge sur l'essieu avant permettant d'obtenir un freinage pratiquement identique sur les 4 roues.  La maniabilité est, pour une large part, fonction de la précision et de la souplesse de la direction et de l'inertie du véhicule.  Quand le moteur est central, la précision et la souplesse de la direction sont obtenues sans moyen artificiel (assistance) grâce à une faible charge sur le train avant (rapport de direction suffisamment direct pour renvoyer au conducteur les réactions de la roue).  Quant à l'inertie de lacet enfin, elle est ramenée à un faible niveau, les masses étant concentrées autour du centre de gravité.

 

La technique

    La caisse de la Murena, du type coupé, est conçue pour recevoir 3 places de front et possède donc un compartiment moteur en position centrale.  Elle se compose d'une structure autoportante en acier embouti protégée au zinc par galvanisation à chaud, sur laquelle vient se fixer, par rivetage ou par collage, un ensemble de panneaux d'habillage réalisés en matériau composite (résine et fibre de verre) dont certains contribuent à la place d'éléments en tôle à l'allègement du véhicule et à la rigidité de l'ensemble de la caisse par leur "travail" en contrainte.  La structure se compose d'une partie centrale formant habitacle indéformable, d'une partie frontale et d'une partie arrière conçues pour absorber par déformation progressive l'énergie d'un éventuel impact.  Les pare-chocs de la Murena sont réalisés en matériau composite armé.  Le pare-chocs avant, dont la forme est intégrée à la forme générale de la caisse, protège la caisse jusqu'aux passages de roues.  Il porte les feux de direction, les feux de complément route et un bandeau souple en PVC qui assure la protection en cas de manoeuvres de parking.

    La Murena est livrable en deux versions.  La première est équipée du moteur de la Talbot Solara SX, à savoir un 4 cylindres de 1592 cm³ développant une puissance de 92 ch et un couple de 135 nM ; la distribution est assurée par un arbre à cames latéral, l'alimentation par un carburateur à double corps.  La seconde reçoit le nouveau moteur dérivé de l'ancien 2 litres qui équipe également la nouvelle Talbot Tagora ; il s'agit également d'un 4 cylindres d'une cylindrée de 2156 cm³ développant une puissance de 118 ch et un couple de 185 nM ; l'alimentation est confiée à un carburateur inversé double corps et la distribution à un arbre à cames en tête.  Les deux moteurs sont équipés de l'allumage transistorisé sans contacts.  Ils sont accouplés à une boîte de vitesses à 5 rapports d'origine Citroën (CX Reflex et Athena) dont le carter fait corps avec le différentiel.  La commande s'effectue par levier au plancher.  L'embrayage est du type monodisque à diaphragme et à commande hydraulique, réglé sans garde.

    La suspension avant est du type à roues indépendantes, à barres de torsion longitudinales, triangles transversaux et barre antiroulis.  Les bras supérieurs sont fixés directement sur la caisse.  Le déport au sol est négatif, de faible valeur.  La suspension arrière est du type à bras tiré à axe oblique.  Les bras sont fixés, isolés sur le châssis.  Les ressorts hélicoïdaux sont concentriques aux amortisseurs.  La suspension est complétée par une barre antiroulis.  La direction est du type à crémaillère et pignon.  Sa colonne se compose de deux parties reliées par un cardan et un flector.  La démultiplication de 3,2 tours de volant de butée à butée a été choisie pour offrir un bon compromis entre une grande précision directionnelle et un effort réduit en parking mais le diamètre de braquage (11,4 mètres entre murs) est néanmoins relativement élevé.  La Murena est équipée de freins à disque à étrier flottant, à l'avant et à l'arrière, à rattrapage automatique d'usure.  Le système de freinage comporte deux circuits séparés avant et arrière.  La commande est du type hydraulique assistée par servo à dépression.  Les freins sur les roues arrière sont équipés d'un système de compensation.  Enfin, les roues sont en acier sur la Murena 1.6 avec des pneumatiques à carcasse radiale Michelin XVS de 175/70 HR 13 à l'avant et de 195/70 HR 13 à l'arrière tandis que les jantes en alliage léger de la Murena 2.2 sont équipées de pneumatiques Pirelli P6 de la série 60 : 185/60 HR 14 à l'avant et 195/60 HR 14 à l'arrière.

 

Le grand canyon du Verdon

    Les responsables de Talbot et Matra avaient choisi un terrain qui mettait en valeur le potentiel de la Murena : le grand canyon du Verdon et ses environs, soit un parcours total de plus de 400 kilomètres.  Ce fut un excellent moment à passer, même si les conditions climatiques étaient plutôt mauvaises, et tous les participants à cette journée eurent le loisir de vraiment s'amuser au volant d'une voiture très agréable et très sûre, ce qui n'est plus tellement courant.  Il ne faut cependant pas céder trop vite à l'enthousiasme et se laisser emporter par des considérations trop subjectives.  Par rapport à la Bagheera, la Murena est en très net progrès dans certains domaines mais pêche encore par certaines carences que l'on ne peut admettre en 1980.

    Dans les circonstances économiques actuelles, il est évidemment délicat d'accorder trop d'importance aux performances.  Quand il s'agit d'un coupé "sportif", on peut néanmoins un peu approfondir la question et,  en la matière, les Murena déçoivent un peu, et plus particulièrement la version 1.6.  Malgré l'augmentation de la cylindrée et de la puissance, la Murena 1.6 fait à peine mieux qu'une Bagheera X et se fait damner le pion en accélération par une Alfasud Sprint Veloce, une Lancia Beta 1.6 Coupé, une Mazda RX-7 ou une VW Sirocco GLI.  Selon les chiffres communiqués par l'usine, la version 2.2 est plus brillante qu'une Porsche 924 ou qu'un Lancia Beta 2.0 Coupé mais cela n'apparaît pas vraiment sur la route.  En revanche, les Murena semblent moins gourmandes que leurs rivales et Matra a d'ailleurs spécialement soigné la question en adoptant une boîte de vitesses à 5 rapports dont l'étagement est assez long : cela favorise la consommation au détriment des performances.  Question de temps !  A propos de la boîte de vitesses, sa commande est beaucoup plus agréable, plus directe et plus précise que celle de la Bagheera mais, pour un conducteur un peu grand et bien calé dans son siège, le levier est placé un peu trop à l'avant et exige un déplacement du dos pour la prise de la troisième et de la cinquième.

    Au rang des critiques, on ajoutera encore, toujours pour les conducteurs de grande taille, une certaine difficulté à trouver une bonne position de conduite et une garde au toit insuffisante.

    Regrettons également de nombreux reflets sur le tableau de bord, le pare-brise et la lucarne arrière ainsi qu'un angle mort dans l'angle 3/4 arrière, d'où une certaine gêne pour la visibilité ; un diamètre de braquage relativement important, d'où une maniabilité assez moyenne sur petites routes et en ville ; et une insonorisation perfectible, surtout pour la version 1.6 dont le moteur est assez bruyant, les bruits de roulement étant également perçus avec trop d'acuité.  Par contre, la Murena a gagné sur de nombreux tableaux par rapport à la Bagheera.  Elle est d'abord plus jolie, ou plutôt plus virile et plus agressive ainsi que mieux dessinée au niveau de l'équilibre des formes.  Elle offre ensuite un niveau de confort des sièges et de la suspension bien meilleur, et même peut-être le meilleur de la catégorie.  Elle propose enfin un comportement routier beaucoup mieux équilibré, plus sain et plus sûr.  De comportement naturellement neutre, elle accuse une tendance au survirage dès qu'on la pousse  dans ses derniers retranchements ; mais ce décrochage du train arrière survient non plus brutalement mais avec beaucoup de progressivité et se contrôle sans le moindre problème.  Avec un peu d'habitude, on en arrive même à profiter de cette aisance pour mener la voiture à la manière d'un pilote de rallye.

    Déjà en nette évolution par rapport à la Bagheera, la Murena est encore perfectible en quelques points.  Les voitures mises à notre disposition étaient heureusement des prototypes, Matra dispose encore d'un peu de temps pour apporter les corrections nécessaires, d'autant plus qu'elle bénéficie d'une certaine souplesse en matière de production vu son côté un peu marginal.  La base est en tout cas très saine et on ne peut qu'espérer d'autres développements, plus particulièrement sur le plan mécanique avec l'adoption, par exemple, de dispositifs à injection pour l'alimentation ou des divers moteurs développés par quelques "sorciers" sur la base de l'ancien moteur 2 litres : culasse à chambres hémisphériques, culasse à trois soupapes par cylindre, suralimentation, sans parler de la présence, dans la gamme Talbot, du moteur Lotus de la Sunbeam... 

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Talbot-Matra Murena ou "Les dents de la route" : bienvenue à bord !

 

Les concurrentes de la Murena 1.6                    Les concurrentes de la Murena 2.2